Le prix unique en agriculture est-il un mythe ?
Notre agriculture fonctionne avec de nombreux mythes et croyances profondément ancrés et largement partagés. En bonne place de ce panthéon figure l'idée de prix unique d'un produit (1000L de lait, T de blé, Kg de porc ...).
Ce mythe professionnel vole en éclat depuis plusieurs années sous les coups de butoirs de l'ouverture des marchés, de la dérégulation de l'économie et de la diversification des débouchés de l'industrie. Le feuilleton estival sur le cadran du porc breton en est l'exemple emblématique , une décennie de soubressauts sur le prix interprofessionnel du lait le démontre également s'il le fallait .
En réalité il n'y a jamais eu de prix unique car les raisonnements ont toujours porté sur des prix de bases pondérés ensuite par des critères individuels ou régionaux. Ils constituaient néanmoins une base de lisibilité pour des producteurs voisins dans un même canton. Cette transparence tenait au fait que la grille de fixation avec ses critères de pondération individuelle était connue de tous et finalement admise même si elle était fréquemment critiiquée. En ce sens c'était un élément pacificateur des jalousies entre collégues et en même temps un excellent mobilisateur syndical pour contester en temps de crise .
L'indispensable pragmatisme économique .
L'idée que toutes les entreprises sur une zone paient le produit au même prix n'a plus de sens aujourd'hui. Certaines entreprises industrielles sont fortement positionnées à l'export alors que d'autres vendent quasi exclusivement sur le marché domestique...on comprend facilement qu'elles sont soumises à des contextes concurrentiels différents. De plus ces contextes évoluent différemment dans le temps. Elles ne peuvent donc à un moment acheter toutes au même prix sauf à assurer un rôle d'amortisseur ( ce qui pourrait être le rôle d'une coopérative). Par nécessite, car leur survie était en jeu, certaines entreprises ont donc progressivement décroché des accords nationaux. Le phénomène s'est amplifié mi 2015 quand à force de tables rondes au ministère des prix "politiques" ont été mis en avant en lait ou en porc par exemple. Dans un contexte de prix de marché européens à la baisse, la "sortie" de certaines entreprises de ses accords a ensuite été vécue par les producteurs comme une réelle trahison .
Le fait que des coopératives , donc dirigées in fine par des agriculteurs, n'aient pas respecté ces prix alors que des abattoirse, filiales de GMS, ont pu le faire a jeté un trouble supplémentaire chez de nombreux agriculteurs... Il faut pourtant bien admettre qu' une GMS proprietaire d'un abattoir vend directement au consommateur sur le marché intérieur (donc à l'abri de la concurrence mondiale) et de plus concentre deux échelons de marge (commercialisation et transformation). Elle dispose donc d'une marge de manoeuvre largement supérieure à une autre entreprise concurrente , fut-elle coopérative, qui exporte 20 ou 30% de sa production et doit donc s'aligner sur les prix pratiqués sur les marchés export.
Le retrait cet été du Président de la FNPL de la présidence de l'interprofesssion laitière ou la démission du président du marché au cadran du porc sont certainement le reflet de ses fortes tensions internes aux filières.
Quels sens pour un prix , quelle visibilité aujourd'hui ?
La transparence dans les transactions est un élément majeur dans la construction de la confiance . Alors dans ce contexte comment faire ? Il y a je crois deux dimensions dans une référence de prix .
La première dimension indique quel est le prix de vente d'un produit à un moment donné ,quel est le prix d'une transaction . C'est sans doute le rôle du contrat de déterminer les modalité de fixation de ce prix ainsi que les indicateurs afférents. Dans ce cadre l'organisation de producteurs a un rôle essentiel pour négocier ces clauses contractuelles. Mais attention nous sommes bien dans une relation verticale client fournisseur à un niveau d'entreprise et non plus dans une logique transversale interprofessionnelle.
La seconde dimension d'un prix est d'établir une référence pour l'ensemble de la filière. On sait par exemple que le souci majeur d'un acheteur de GMS est , certes de maîtriser le coût de ses approvisionnements, mais surtout d'être certain de ne pas acheter plus cher que ses concurrents. Ainsi pour acheter des pièces découpées de porcs les acheteurs avaient-ils toujours les yeux rivés sur la cotation de Plérin. En horticulture, par exemple, on connait le rôle des veilings d'Alsmeer comme référence européenne des prix.
Il est donc important que tous les acteurs d'une filière aient une indication de l'évolution des prix. Un prix ne peut se fixer que par un arbitrage sur un marché . Autrefois ces arbitrages se faisaient sur les foires et les marchés de gré à gré. Au marché au vif des bovins l'enregistrement des prix moyens des transactions par des agents habilités par le ministère permettent d'établir une mercuriale et les prix des principaux marchés comme Sancoing ou Fougères font office de référence. Mais attention dans ce cadre on ne détermine pas les modalités de fixation d'un prix on constate le prix des transactions réalisées. Cela bien sûr influencera les transactions futures, mais partiellement, le moteur principal restant l'équilibre offre demande .En porc c'était le cadran de Plérin qui donnait le la, en lait cela a toujours fait défaut (sauf pour le marché quotidien spot entre laiterie mais sans transparence publique).
En céréales aujourd'hui les références sont les cotations sur les marchés à terme et tout le monde s'y réfère .Le marché à terme joue un double rôle : établir un prix mais également une anticipation de prix. C'est doublement interessant pour les différents acteurs d'une filière. Alors pourquoi ne pas généraliser ce mode d'arbitrage sur les autres productions ?