Vers une Agriculture COLLABORATIVE !
Les agricultrices et les agriculteurs français traversent actuellement une grave crise de confiance et de perte de repères. Alors que les perspectives sur les marchés agricoles sont globalement favorables, l’agriculture française ne croit plus vraiment dans son avenir.
Bien sûr 2016 fut une très mauvaise année marquée, sur une partie de notre territoire, par un sinistre climatique. Mais ce n’est pas cet accident conjoncturel qui en soit a provoqué un tel malaise. Les racines sont beaucoup plus anciennes et plus profondes.
Les agricultures européennes sont confrontées à une triple révolution.
Il y a d’abord le défi de la transition écologique. Nous cheminons à grand pas vers une agriculture moins consommatrice d’intrants chimiques et d’énergie tout en produisant davantage, c’est tout le défi de l’agroécologie. On peut le symboliser par deux images : le couvert permanent et la perspective de commercialiser trois récoltes en deux ans. Cela nécessite innovations, mutations, changement de pratiques et parfois refonte du système de production.
Il y a ensuite le défi de la libéralisation économique. L’agriculture depuis quinze ans est entrée dans une économie de marché ouverte et nous devons l’accepter. Les opportunités à l’export se développent. Paradoxalement la tendance des prix agricoles est plutôt bien orientée et se situe à un niveau nettement supérieur à celui de la décennie précédente. Par contre les prix peuvent varier de quarante pour cent d’une année à l’autre. Il faut donc désormais absolument intégrer la gestion des risques dans le raisonnement d’entreprise agricole.
Il y a enfin le défi de la révolution numérique faite de plateformes de commercialisation et d’échanges, de robotisation, d’internet des objets, de traitement de données de masse, d’agriculture de précision permettant alertes et suivis. C’est une révolution de même ampleur que l’arrivée du tracteur au lendemain de la guerre. Cela va progressivement modifier les structures d’exploitation et transformer le métier d’agriculteur.
Les perspectives économiques sont donc intéressantes mais face à ces révolutions on ne peut pas continuer à gérer une exploitation agricole comme avant. Le métier d’agriculteur devient beaucoup plus complexe et mobilise des compétences beaucoup plus larges qu’auparavant. C’est donc fortement anxiogène d’autant que l’agriculture française s’adapte souvent plus difficilement et plus lentement que nos principaux concurrents européens. De ce fait nous perdons en compétitivité.
La solution passera beaucoup par une agriculture davantage collaborative
Pour réussir ces trois révolutions les chefs d’entreprises agricoles doivent augmenter leur efficacité économique et environnementale mais aussi apprendre à gérer eux-mêmes leurs risques.
Ces deux dimensions doivent se trouver aujourd’hui au cœur de chaque décision, quotidienne comme stratégique. Ce que je décide augmente-t-il ma valeur ajoutée créée par heure de travail ? Cela contribue-t-il à accroitre ou réduire mes risques (techniques, commerciaux, humains ou économiques)
L’agriculture française est familiale avec des entreprises de taille petite ou moyenne à l’échelle des grands pays agricoles. Nous sommes très attachés à cette originalité. Pour que cette force, héritée des choix passés, ne devienne pas une faiblesse tragique, la voie d’avenir passe certainement par infiniment plus de partages et d’échanges entre les exploitations agricoles. Ce que l’on peut appeler l’agriculture collaborative ou le « co-farming ». Cela veut dire :
Privilégier l’usage sur la propriété dans tous les domaines. Ne pas chercher systématiquement à acheter. Partager les investissements par de la copropriété, de la sous-traitance ou de la location. Cela permet de saturer les investissements et d’être certain d’avoir des équipements performants. Cela permet de réduire les besoins financiers, de gagner en agilité et surtout de diminuer les coûts de production.
Conduire des projets en association à plusieurs plutôt que seuls. Pourquoi toujours chercher à investir isolément et de manière indépendante ? Partager des projets permet d’associer des compétences complémentaires et de diviser les risques. Cela permet également très souvent de mieux organiser son temps de travail.
Cette évolution est exigeante et bouscule les habitudes. Le numérique va certainement faciliter cette migration vers une agriculture collaborative. Par contre attention, elle ne peut en aucune manière en être le moteur. Le moteur c’est la motivation, l’ambition, la volonté, l’envie des hommes et des femmes qui demain voudront échanger et travailler ensemble dans cette agriculture collaborative.
Elle sera certainement plus efficace économiquement comme au plan environnemental.
Elle sera surtout beaucoup plus sécurisante, plus facile et plus agréable à vivre.
Jean-Marie SERONIE