Etats Généraux de l’Alimentation : une grande absente, l'exploitation agricole !
La tenue des Etats Généraux de l'Alimentation était une des mesures phares du candidat Macron. Curieusement à l'heure du lancement des discussions une grande absence apparait : il n'est jamais prévu de parler de l'exploitation agricole !!! C'est pourtant dans l'entreprise et non au supermarché que se crée le revenu des agriculteurs.
Au fil des jours le projet des Etats Généraux de l’Alimentation (EGA ou #Egalim pour les initiés) se précise. On sort peu à peu du flou, de l’improvisation ou de l’ambiguïté, chacun retiendra le terme qui convient à sa sensibilité.
Augmenter le prix de la production des agriculteurs
On annonce, dès la fin Aout, une première phase de négociations centrée sur une augmentation de la valeur créée et sur la façon ensuite de mieux la répartir au bénéfice des agriculteurs. Quelques convictions fortes voir croyances implicites semblent sous-jacentes aux réflexions proposées.
Il y a d’abord l’idée qu’une économie agricole territorialisée (avec des programmes alimentaires locaux, des circuits courts …) créerait plus de valeur et qu’il serait possible de rémunérer spécifiquement des évolutions de production davantage en phase avec les demandes de la société (rémunération de la qualité, des services environnementaux…)
A cette idée s’ajoute la conviction qu’il est possible, sous quelques conditions, d’augmenter certains prix alimentaires. Avec en arrière-pensée, semble-t-il, l’idée de plus en plus répandue que les consommateurs seraient prêts à payer un peu plus cher, s’ils ont la certitude que les agriculteurs en seront les bénéficiaires. L’expérience, fortement médiatisée, de « C’est qui le patron », avec du lait UHT vendu à 0,99 E le litre et une transparence de l’industriel qui le conditionne, a sans doute beaucoup marqué les esprits malgré sa très faible dimension (l’équivalent au niveau national de la production de 30 ou 40 fermes laitières !).
Le ministère semble également convaincu qu’une meilleure coopération et plus de fluidité dans le fonctionnement des filières agricoles permettraient de créer davantage de valeur et de mieux la répartir en faveur des producteurs.
Enfin transparait dans les thèmes proposés la volonté de trouver des façons d’améliorer l’efficacité de l’action publique (coordination des échelons territoriaux, orientations de la recherche, ciblages des aides…) comme du secteur privé (efficience et pertinence du conseil agricole, filières, interprofessions, promotions et communication). L’objectif poursuivi est de mieux accompagner les transitions, les innovations et d’être davantage performants sur l’export.
Une priorité affirmée de santé publique
Une seconde phase, à l’automne, sera centrée sur la recherche d’une alimentation saine, durable et accessible à tous, faisant l’hypothèse implicite que ce n’est pas le cas actuellement ! On sent derrière les ateliers envisagés une immense préoccupation de santé publique avec un renforcement de la surveillance sanitaire, de la gestion de crise, de la communication, des contrôles, des actions visant à modifier les comportements alimentaires des français. A cela est associé un fort accent mis sur la réduction des inégalités (sociales et territoriales) dans l’accès à une alimentation équilibrée et un volet sur la lutte contre le gaspillage alimentaire.
A côté de ce grand objectif figure, mais de manière plus timide à ce stade, l’objectif d’accélérer la transition de l’agriculture vers des pratiques plus naturelles. Il est à noter que le mot agroécologie, fer de lance de l’action et du véritable virage stratégique engagés par Stéphane Le Foll, est totalement absent du vocabulaire.
Une grande absente : l’entreprise agricole
Le fait d’avoir séquencé deux étapes distinctes, disjointes dans le temps avec des objectifs totalement différents reflète sans doute des tensions sur les objectifs même des EGA. Il y a dû y avoir d’âpres tractations autour du phasage et de l’histoire à raconter :
"c’est plus vert donc c’est plus cher ou c’est plus cher donc c’est plus vert", C'est la seconde version qui finalement été retenue !
La porte d’entrée choisie par l’alimentation a l’immense mérite d’aborder la réflexion par la demande, le marché et non par la technique, l’offre donc la production. Par contre la déclinaison qui en est faite occulte totalement l’entreprise agricole.
La compétitivité de l’agriculture française, son adaptation à un nouvel environnement économique et à la variabilité des prix, l’augmentation de la résilience des fermes passent pourtant par la gestion des exploitations agricoles. C’est cette conduite d’entreprise et non simplement les prix de ventes qui fabrique le revenu des agriculteurs. De ce point de vue les performances des fermes françaises sont très variées et cette hétérogénéité explose de manière extrêmement importante constituant une véritable bombe à retardement très souvent occultée.
Pourtant l’adaptation des outils de la politique publique facilitant une gestion moderne de l’entreprise agricole comme la fiscalité, le droit rural, les assurances, l’agriculture collaborative sont curieusement quasiment absents des débats comme ils l’étaient d’ailleurs du projet du candidat Macron. De même à aucun moment il n’est prévu de réflexions sur le type d’exploitations agricoles souhaitées en France, sur ce que l’on entend par exploitation agricole familiale.
Les solutions aux difficultés présentes de l’agriculture française ne sauraient se réduire à une question de prix fussent-ils plus justes. C’est l’absence de vision claire sur les perspectives qui a souvent bloqué le dialogue et freiné l’évolution de nos politiques publiques agricoles nationales.
Bizarre, bizarre … l’entreprise agricole n’est pas invitée aux EGA. Peut-être faudrait-il y consacrer spécialement une troisième étape des travaux ?
Il faut, certes, se mettre d’accord sur des ambitions, des objectifs mais au final pour y arriver les acteurs du succès sont bien les entreprises et les hommes et les femmes qui les dirigent, c’est là et non au supermarché que se construit le revenu des agriculteurs.
Ce n’est pas au supermarché que se fabrique le revenu agricole
Les EGA permettront sans doute d’annoncer une hausse, même modeste mais rapide et visible des prix payés aux producteurs. Ce sera au moins des intentions et des principes, des orientations alliant territoire, agriculture et alimentation, des objectifs d’investissements permettant de cibler l’utilisation des cinq milliards d’investissement annoncés. Seront certainement pris des engagements assortis de quelques plans ou programmes sur l’amélioration de la nutrition des français, sur une agriculture globalement plus « naturelle ».
Ces EGA sont une belle opportunité. Pour qu’ils ne ressemblent pas aux « conférences agricoles annuelles » d’antan souhaitons simplement deux choses. D’une part que le solde entre l’augmentation de la valeur perçue par les agriculteurs et des conditions plus couteuses de production leur soit durablement favorable. Mais aussi que l’exploitation agricole et son évolution ne reste pas dans les coulisses des EGA. Nous avons un besoin urgent de clarifier notre vision et de construire un programme d’actions sur l’adaptation des exploitations agricoles familiales « à la française » à l’économie de marché afin de les rendre saines et durables.
Jean-Marie Séronie , agroéconomiste indépendant – Juillet 2017